L'écologie n'est pas une punition !, par Ségolène Royal
LE MONDE | 08.01.10 | 14h06 • Mis à jour le 09.01.10 | 12h46
Ainsi donc, la taxe
carbone était morte. Mais ce n'était en fait qu'un coma puisque nous
saurons finalement en juillet à quelle sauce nous serons mangés. Voilà
donc la réponse du gouvernement.
Malgré la censure du Conseil constitutionnel, écartée avec légèreté,
malgré le rejet populaire massif, ignoré avec mépris, pour une simple
raison : remplir les caisses que l'Etat a vidées. En clair, l'UMP
utilise la décision du Conseil constitutionnel pour enjamber les
élections régionales de mars et ainsi tenter d'esquiver la colère des
électeurs, très vive en milieux rural et périurbain.
En juillet, on nous expliquera que l'échec du sommet de Copenhague
impose d'accepter ce nouvel impôt douloureux. Quant aux puissants
industriels dans la ligne de mire du Conseil constitutionnel, gageons
qu'ilsseront in fine épargnés. Tout cela n'est pas sérieux et signe
une véritable incompétence. Brisant le consensus, j'ai affirmé, dès le
mois d'août 2009, que la taxe carbone était une mauvaise réponse à
l'urgence écologique. Je n'accepte pas que l'écologie soit dénaturée et
utilisée comme prétexte pour affaiblir un peu plus encore le pouvoir
d'achat des Français en temps de crise.
Quant à l'efficacité écologique de cette taxe face à l'enjeu du
réchauffement climatique, je la conteste. Qu'est-ce qui est en jeu ? Ni
plus ni moins que la survie de l'espèce. Nous sommes à la croisée des
chemins. Soit nous poursuivons sur la voie d'un mode de vie
insoutenable, dont nous savons tous qu'il provoquera à brève échéance
un véritable "écocide".
Soit nous changeons radicalement de comportement. Il faut donc agir sur tous les leviers pour réduire les émissions de CO2,
organiser la conversion massive de la production au changement
énergétique, afin de nous proposer un mode de consommation sobre car
nous sommes prêts à modifier nos comportements si on nous donne les
moyens de le faire.
Ce n'est malheureusement pas la voie qui a été suivie en France.
Avec la taxe carbone, le gouvernement a pris la responsabilité de
décourager des millions de familles. Et là où il aurait fallu être à
l'écoute du plus grand nombre, il n'y a eu que connivence consistant à
exonérer de l'impôt les grandes firmes à l'origine des principales
pollutions industrielles. Je le maintiens : la taxe carbone est un
impôt injuste pour toutes celles et tous ceux qui n'ont ni le choix ni
les moyens de prendre les transports en commun, d'acquérir un véhicule
électrique ou de changer de chaudière.
Je n'ai jamais pensé que l'écologie devait se défendre par la
punition. Elle doit se défendre par l'impulsion, par l'orientation et
l'envie de participer à un projet de civilisation. C'est ce que
l'Assemblée des régions à laquelle je participais a mis en avant à
Copenhague, sachant que 80 % des actions le sont à un niveau
infranational. Dès le départ, le débat a été vicié par les
approximations qui ont entouré le projet. On a pensé que le terme de "fiscalité écologique" rendrait l'imposture inattaquable.
Que la "mode verte" obscurcirait notre jugement et notre faculté de
discernement. C'était tenir en bien grand mépris et l'écologie et les
citoyens. Il faut choisir : soit la taxe est destinée à modifier des
comportements et son rendement tend vers zéro, les contribuables ayant
réellement la possibilité d'arbitrer entre payer et changer de mode de
consommation. Soit la taxe se substitue à un autre prélèvement et c'est
alors avouer qu'elle est bien destinée à produire des recettes.
En prétendant que la taxe carbone avait vocation à se substituer à
la fiscalité sur le travail, le gouvernement n'a pas pu cacher la
nature profondément libérale de ce nouvel impôt, au diapason de sa
politique fiscale globale.
Face à ces errements, il est possible d'opposer une conviction : la
révolution verte ne se fera pas contre le peuple, mais avec lui et pour
lui. La révolution verte, c'est le développement des éco-industries,
d'une agriculture biologique, l'extension des énergies propres, la
recherche d'une plus grande sobriété, l'investissement dans les
éco-industries mais aussi la création de principes budgétaires justes
et efficaces appliquant réellement le principe pollueur-payeur.
Ministre de l'environnement, j'ai créé dès 1992 la taxe sur les
déchets et l'éco-emballage, deux exemples de taxes écologiques
efficaces et créatrices d'emplois. La fiscalité n'est évidemment pas le
seul système pour réduire les émissions de gaz carbonique. La puissance
publique peut aussi recourir à la réglementation (interdiction de
dépasser un seuil de pollution par exemple) ou aux incitations. L'impôt
n'est qu'un outil parmi d'autres pour tendre vers l'ex-cellence
environnementale et l'écologie ne doit jamais être un prétexte pour
réduire le pouvoir d'achat.
En tout état de cause, trois principes intangibles doivent présider
à la création d'une fiscalité verte. Elle doit d'abord être efficace.
Elle doit pour cela s'appuyer sur le libre choix laissé au contribuable
et être postérieure à une offre de qualité en transports en commun et
voitures propres. Elle doit ensuite être juste. Non à un impôt sur les
déplacements du périurbain et des zones rurales. Non à un impôt sur les
plus modestes.
Mais oui à une taxe pour Total, qui réalise des bénéfices
exceptionnels (13,9 milliards d'euros en 2009 ) et qui profite des
hausses d'émissions de gaz à effet de serre. Oui à une baisse de la TVA
sur tous les équipements et produits propres. Oui au bonus-malus, sur
le modèle du bonus automobile, dont nous avons tous constaté le succès
fulgurant. Elle doit enfin être accompagnée d'actions concrètes,
concernant l'isolation des logements et plus largement la réduction de
la consommation d'énergie.
La décision du Conseil constitutionnel donne au gouvernement la
chance inespérée de prendre enfin la bonne direction. Il est encore
temps. Sinon, nous serons dans une véritable impasse. Car c'est bien
une autre civilisation qu'il nous faut inventer.
Les peuples y sont prêts. Ils sont en avance. Là est la lueur
d'espoir entretenue, envers et contre tout, par Copenhague. A nous,
responsables politiques, de nous placer à la hauteur des attentes pour
mieux les accompagner sur un chemin à la fois difficile et porteur
d'espoir. |